Il serait par trop injuste d’interdire aux gens de lettres des distractions permises dans toutes les autres conditions de la société, surtout lorsqu’au fond de leurs badinages se trouvent cachées, sous une forme agréable et adroite, des choses qui éveillent chez le lecteur un peu fin, certaines idées qu’il n’eût jamais tirées de pompeuses gravités que nous pourrions citer !
Erasme, Eloge de la folie, Traduction par G. Lejeal, Bibliothèque nationale, 1899, pp. 9-14.
D’après Propp (1970), les contes les plus anciens trouveraient leur origine dans la pratique de rites d’initiation en usage dans les sociétés primitives. Ces rites étaient destinés aux membres de la communauté qui sortaient de l’enfance et s’apprêtaient à entrer dans l’âge adulte. Ces rituels ayant disparu, ils auraient perduré sous une autre forme : la tradition orale aurait ainsi permis à une parole pré-chrétienne de se répandre et de diffuser des principes de vie universels, les « opinions du peuple saines » en quelque sorte.
Repris, remaniés, transformés au fil des siècles, les contes de fées se sont peu à peu enrichis de significations de plus en plus complexes. Ils sont parvenus à s’adresser à un public large : le message qu’ils contiennent délivre un enseignement aussi bien à l’esprit simple et « ignorant » de l’enfant qu’à celui plus raffiné et cultivé de l’adulte.
Les contes non seulement instruisent moralement l’auditeur-lecteur, mais encore exaltent les valeurs d’une certaine sagesse traditionnelle ancestrale. Pour véhiculer les opinions du peuple, il convenait de faire naître une parole performative susceptible de solliciter l’attention et l’intérêt - à tous les niveaux - de l’inconscient humain : le langage allégorique est doté d’un pouvoir plus redoutable que la parole directe. Comme le suggère Stanley Kubrick dans le domaine cinématographique, il existe incontestablement une parole autre, bien plus puissante, qui repose sur les fondations de l’imaginaire et de l’émotion : « Un chauffeur routier de l’Alabama qui, sur tous les autres plans, aurait des vues extrêmement étroites, est autant capable d’apprécier et de comprendre un disque des Beatles qu’un jeune diplômé de Cambridge, car leurs émotions et leur subconscient sont beaucoup plus semblables que leur intellect. Ils partagent la même réaction émotionnelle subconsciente. Je pense qu’un film capable de communiquer à ce niveau a un impact beaucoup plus vaste et plus profond que n’importe quelle forme de communication verbale traditionnelle. » L’essence du conte est l’équivalent d’une « sorcellerie évocatoire » : l’art du conteur est de laisser une idée aller d’elle-même vers le public au lieu de la lui asséner.
Dès lors l’imagination à l’œuvre dans les contes de fées nous donne-t-elle le loisir de comprendre, au sens étymologique de ce verbe, le monde qui nous entoure, littéralement « saisir ensemble, embrasser quelque chose, entourer quelque chose » (Trésor de la langue française). En effet, d’emblée, elle conduit le lecteur à « prendre » avec soi le réel, avant de l’amener à « saisir par l'intelligence, embrasser par la pensée » cette même réalité humaine (familiale, sociale et culturelle) fort délicate à appréhender directement. L’imaginaire suppose – fondamentalement - une rencontre, un travail d’échange entre le peuple, l’auteur, et son auditeur, son lecteur : le conte se définit par un travail de « métamorphose » de l’expérience que fait l’être du monde qui frappe en profondeur le psychisme de la personne.
L’on pourrait choisir de mettre l’accent sur la querelle des Anciens et des Modernes à laquelle Perrault a activement pris part (son célèbre Parallèle des Anciens et des Modernes publié en 1688 y invite assurément). Les deux préfaces qu’il a rédigées (« Préface » des Contes en vers, en particulier) se révèlent, à cet égard, tout à fait instructives : il serait, du reste, opportun de s’attarder sur les liens qui unissent subtilement la préface des Fables (« Epître à Monseigneur le Dauphin ») de La Fontaine et « l’épître à Mademoiselle » de Perrault. Néanmoins, sans doute faudrait-il inviter les élèves à s’affranchir du cadre normé esthétique officiel et à adopter un point de vue nuancé sur ce sujet ô combien polémique, qui se rattache plus ou moins à toute controverse artistique mettant en jeu des questions d’intertextualité : Perrault s’est-il pleinement et sans réserve libéré de l’emprise des Anciens ou s’est-il, de manière plus ambiguë et inavouée, inscrit dans une certaine tradition, malgré lui, reprenant - entre autres - à son compte l’impératif d’Horace « Plaire et instruire » (Horace, Art poétique, ou Epître aux pisons) ? Car, bien évidemment, dans un tel contexte, son « imitation n'est point un esclavage » (Jean de La Fontaine, Epître à Huet, 1687)… n’en déplaise à Boileau !
Il semble indispensable d’envisager les récits de Perrault sous un autre angle. Dans quelle mesure l’humour parfois mordant et corrosif d’un Perrault préfigure-t-il l’ironie acide d’un Voltaire ? L’étude rigoureuse du conte Le Maître Chat ou le Chat Botté (à laquelle pourra être associé l’examen minutieux et particulièrement éclairant des illustrations de Gustave doré) incitera les élèves à s’interroger sur les origines obscures du pouvoir politique. A cet égard, l’interprétation des Trois discours sur la condition des grands (Voir le « Premier discours » notamment) de Pascal publié en 1670 fournira des pistes d’analyse passionnantes. Grâce à l’exploration des contes philosophiques de Voltaire, les élèves se familiariseront avec l’histoire culturelle et littéraire européenne à travers les siècles et découvriront de manière progressive l’évolution des formes et genres littéraires de l’argumentation au cours des XVII et XVIIIe siècles.
Dans tous les cas, cette re-lecture (ou tout au moins première lecture ?) des contes merveilleux réclamera une remise en cause des préjugés tenaces qui entourent l’univers des contes de fées depuis toujours, réflexion pénétrante que soumet au demeurant Perrault à Mademoiselle de Chartres (nièce de Louis XIV), dès le seuil de son recueil : « Quelque disproportion qu’il y ait entre la simplicité de ces récits et les lumières de votre esprit, si on examine bien ces Contes, on verra que je ne suis pas aussi blâmable que je le parais d’abord. Ils renferment tous une morale très sensée, et qui se découvre plus ou moins, selon le degré de pénétration de ceux qui les lisent. » Les élèves auront de la sorte l’occasion d’être initiés au commentaire de texte et d’images, au sens propre du terme : cet « apprentissage initiatique » les contraindra non seulement à découvrir, par un effort d’observation et de pénétration, la nature profonde de tel ou tel récit (Pourquoi mange-t-on dans les contes ? Que/qui dévore-t-on ? Pourquoi parle-t-on ? Pourquoi la « clef » de Barbe Bleue est-elle « fée » ?…) ,mais même à « relire » les adaptations multiples, souvent erronées et mensongères, des Histoires ou contes du temps passé avec des moralités de Perrault. Que penser de la mort prématurée du Père de Cendrillon lors de la séquence d’ouverture du film du studio Walt Disney (1950) ? Et que dire des trois « rencontres amoureuses » qui préparent et mettent en scène le baiser de la séquence finale de La Belle au bois dormant (1959) du même Disney ? Il sera en outre pertinent d’attacher de l’importance à une analyse du vocabulaire toujours bénéfique : que nous apprend, par exemple, l’origine étymologique du substantif « Chaperon » (Alain Rey, Dictionnaire historique de la langue française) ? Cette interrogation lexicale d’une très grande richesse pourra entraîner les élèves sur les chemins des épines et des aiguilles du Chaperon rouge, si ingénieusement parcourus par des publicitaires bien intentionnés, désireux de s’introduire subrepticement (« Tire la chevillette, la bobinette cherra » !) dans l’inconscient du public un peu trop naïf, comme l’héroïne éponyme d’ailleurs… Il sera alors possible de confronter les innombrables adaptations heureuses et malheureuses de ce conte volontiers pillé : les élèves prendront peut-être ainsi plaisir à s’aviser, par eux-mêmes, que l’illustrateur et graveur Gustave Doré (1862), le réalisateur Tex Avery (Red Hot Riding Hood, 1943), le chanteur Mika (Clip Lollipop, 2007) et le réalisateur du film « Facemoods »[1] (2011) rendent tous hommage, à leur manière, à l’honnête homme du XVIIe siècle qu’est Charles Perrault.
« Parce que tous les contes révèlent les pouvoirs du discours, ils sont à interpréter comme des discours du pouvoir » (Marc Escola, Contes, Gallimard, Folio, 2005, p. 210).
Dans quelle mesure ce jugement éclaire-t-il le sens des contes que vous avez lus ?
Charles Perrault, « La Barbe Bleue »,
Histoires ou Contes du temps passé, 1697.
Montrez que Mme Barbe-Bleue est hypocrite au sens étymologique du terme. Vous veillerez, pour commenter cet extrait convenablement, à prendre appui sur les différentes acceptions du terme « hypocrite ».
HYPOCRITE, subst. et adj. [Trésor de la langue française]
I. − Emploi subst. et adj. (Personne) qui manifeste de l'hypocrisie (de façon occasionnelle ou constante). Synon. (adj. et subst.) faux, fourbe; (subst.) imposteur. − En partic. Personne qui simule la dévotion. Synon. bigot, cafard, cagot, pharisien (vx), tartuf(f)e : 1. ... Molière est mort. On l'enterre non loin de la paroisse de Corneille, presque secrètement, dans la satisfaction haineuse des cagots et des hypocrites, et la prière des soeurs de charité. Brasillach, Corneille, 1938, p. 459. II. − Emploi adj. [En parlant du comportement d'une pers.] Qui est empreint d'hypocrisie. Synon. affecté, cauteleux, fallacieux, faux, mensonger, mielleux, patelin, sournois, trompeur. Étymol. et Hist. Empr. au b. lat. hypocrita « hypocrite » (lat. imp. « mime [qui accompagnait l'acteur a ec des estes , r. « celui qui distingue, explique, interprète; acteur; fourbe, hypocrite ».
Consignes.
ETAPE 1 : Vous rédigerez une introduction générale ;
ETAPE 2 : Vous élaborerez le plan détaillé en prenant appui sur la définition du substantif « hypocrite » ;
ETAPE 3 : Vous rédigerez un court § d’introduction au cours duquel vous reformulerez la question posée (= thèse de grande partie), a ant d’annoncer le plan.
ETAPE 4 : Vous rédigerez deux § argumentatifs de commentaire (construits avec soin).
ETAPE 5 : FACULTATIF ! Vous rédigerez une conclusion générale.
Les éditions des contes sont innombrables. Quelques-unes méritent cependant une mention particulière :
- C. PERRAULT, Contes, édition établie par Gilbert Rouger, Garnier Frères, 1967.
- GRIMM, Contes, traduits et présentés par Marthe Robert, Gallimard, « Folio », 1976.
- A. COLLOGNAT, M-C. DELMAS, Les Contes de Perrault dans tous leurs états, Omnibus, 2007.
- M. SERRES, Les métamorphoses de la cendre, Critique, 246, novembre 1967.
- M. SORIANO, Les contes de Perrault, Culture savante et traditions populaires, Editions Gallimard, 1968.
- B. BETTELHEIM, Psychanalyse des contes de fées, Editions Robert Laffont, 1976.
- M. SIMONSEN, Perrault, Contes, PUF, « Etudes littéraires », 1992.
- J-P SERMAIN, Le conte de fées, Du classicisme aux Lumières, Editions Desjonquères, 2005.
- M. ESCOLA, Contes de Charles Perrault, Gallimard, « Foliothèque », 2005.
- Site de la BNF donnant accès à des documents et des études sur les contes de fées : http://expositions.bnf.fr/contes/index.htm
- Cette étude du site « L’histoire par l’image » présente la conquête de l’espace du conte pour enfants par l’illustration au cours du XIXe siècle : http://www.histoire-image.org/site/etude_comp/etude_comp_detail.php?i=801
- Les articles de Louis Marin sur les contes de Perrault : http://www.louismarin.fr/
- Le site « Facemoods » propose plusieurs films de prévention mettant en scène le petit chaperon rouge : http://safemoods.com/
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